William Oddie, du National Catholic Register, le meilleur journal Catholique américain a rencontré l’Archevêque Hilarion (Alfeyev) de Volokolamsk, qui est
aussi directeur des affaires extérieures au Patriarcat de Moscou.
Vous pouvez trouver cet entretien en anglais ici. Je vais en donner ci-dessous
quelques extraits significatifs traduits avec mes commentaires sont en italique vert.
Nous ne connaissons que trop l’attitude des Catholiques envers le dialogue avec les Églises Orthodoxes Orientales, une attitude optimiste, enthousiaste, mais qui
nous fait souvent passer pour des ravis de la crèche… Cet entretien témoigne donc de comment l’Église Orthodoxe Russe voit le dialogue avec l’Église Catholique Romaine.
L'Archevêque Hilarion de Volokolamsk et le Pape.
« [De toutes les confessions Chrétiennes] l’Orthodoxe et la Catholiques sont les plus proches Nous avons certaines différences en termes de dogme et
d’ecclésiologie, mais nous avons la même doctrine à propos de la succession apostolique, des Sacrements, et de l’Église en général.
C’est de la part de l’Église Russe un grand progrès. Sous l’ère du Patriarche Alexis II, et même encore aujourd’hui dans le camp conservateur,
il était un lieu commun de dire que les Catholiques n’étaient même pas Chrétiens.
Donc, bien qu’il y ait des obstacles à la pleine unité, ils ne sont pas selon moi insurmontables. L’unité pleine est la communion Eucharistique. Nous n’avons
pas besoin de changer la façon dont nous administrons nos Églises ni nos traditions locales. Nous pouvons vivre nos différences en tant qu’Église unie, ayant part au même pain et à la même coupe.
Nous devons cependant redécouvrir ce qui nous unissait et ce qui nous a séparé, particulièrement au XIe Siècle.
Mgr. Hilarion pose le principe de la pleine unité comme étant la Communion Eucharistique, ce qui est aussi un moyen de disperser les fantasmes
de pleine unité déjà existante mais cachée etc… Il introduit également à ce stade de l’entretien quelle est la méthode employée par les deux Églises dans leurs discussions : la méthode
historique, non pas comme niant ce qui s’est passé depuis (cela serait du ressort du mythe protestant/conciliaire du retour aux sources) mais comme base de discussion pour parler des siècles
suivants.
Donc la base de la restauration de la pleine communion serait selon moi la Foi de l’Église indivise du premier millénaire.
L'Archevêque Hilarion et le Cardinal Sandri, préfet de la Congrégation pour les Eglises Orientales.
À propos du Pape:
Il est très traditionnel dans sa compréhension des dogmes et de la morale, et bien sûr très proche de l’Église Orthodoxe. Il respecte hautement la tradition
Orthodoxe, connait notre théologie, et comme il l’a indiqué dans son livre, les questions posées par l’Orthodoxie sont très proches de son cœur.
Souligner les mérites de Benoît XVI est aussi un moyen de dire par contraste que la personne de Jean-Paul II, malgré sa volonté, était un
obstacle sur la route de l’unité par son souci de reconstruire l’Église grecque-Catholique et les communautés latines en terre considérée par les Églises Orthodoxes comme leur territoire réservé.
Bien que tout ecclésiastique russe s’en défendra vivement, le fait qu’il soit polonais n’a pas arrangé les choses, chaque peuple, le russe et le polonais voyant l’autre comme l’agresseur
séculaire par excellence.
Mais je pense que l’unité Eucharistique entre Orthodoxes et Catholiques n’est pas quelque chose d’aisément atteignable en quelques années, parce lorsqu’on songe à
notre dialogue théologique, on s’aperçoit qu’il ne progresse que très lentement, et très souvent, nous nommes incapable de résoudre les problèmes capitaux du passés.
Une vision réaliste d’une unité Eucharistique que nous ne verrons pas forcément dans notre vie (et pourtant sans me vanter je suis jeune). Les
« problèmes capitaux du passé », c'est-à-dire la simple existence des Églises Catholiques Orientales, et d’une Église Latine en territoire russe, cela au point de vue politique, et au
point de vue théologique, bien sûr, les différents dogmes proclamés par l’Église Catholique dont certains posent plus problème que d’autres (si l’Assomption pourra être accepté par les Orthodoxes
qui y croient de toute façon, l’infaillibilité pontificale ne passera probablement jamais dans sa forme actuelle).
Mgr. Hilarion prêchant durant une Divine Liturgie à Bruxelles.
Une alliance stratégique avec l’Église Catholique :
Cette alliance est nécessaire afin d’apprendre à travailler ensemble, les défis qui nous attendant étant les mêmes. L’un d’eux est de rechristianiser un monde
déchristianisé. Je pense que nous pouvons faire de nombreuses choses ensemble, sans même former une seule Église ou être en communion Eucharistique.
Mouais, c’est « light » comme communion : la communion dans la charité et dans la proclamation de la Vérité du Christ, c’est
aussi ce qu’ils proposent aux Protestants… C’est ennuyeux qu’alors que les seules vraies Églises ayant les vrais Sacrements sont les Églises Catholiques et Orthodoxes, la coopération ne puisse
pas aller plus loin. La réception des fidèles de l’autre Église aux Sacrement de l’une existe, mais elle est plus qu’exceptionnellement rare, et les Orthodoxes rebaptisent ( !) souvent les
personnes Catholiques. Ils voient vraiment midi à leur porte, et souhaitent le soutien inconditionnel de leurs actions (qui sont parfois contestables car manifestant la possession que l’Église
Orthodoxe Russe estime avoir sur les âmes peuplant ce pays) par Rome sans nous donner grand-chose en retour.
Sur la primauté du Pape :
De toute façon, nous ne pensons pas qu’il puisse y avoir un Évêque au dessus des autres, dont les décisions pourraient lier l’Église entière. Nous pensons qu’au
premier millénaire l’Évêque de Rome était le premier, mais seulement le premier parmi des égaux. Il n’avait pas de juridiction directe sur l’Orient.
Là est le problème… Si personne ne peut prendre de décision liant l’Église entière, il n’est plus possible de définir la Vérité autrement que
par Concile, ce qui a un résultat aléatoire, et entraine parfois un schisme : s’il y a tant d’Églises en Orient (Église Ancienne de Perse, Église Apostolique Assyrienne, Église Copte
monophysite etc…) c’est parce qu’aux premiers siècles, chacune d’entre elle à un moment donné refusé l’issue d’un Concile.
La juridiction du Pape : bon… je ne suis pas historien, mais je crois qu’on a un certain nombre d’exemple d’intervention directe du Pape
pour régler des problèmes ecclésiaux en Orient et en Afrique du Nord datant du premier millénaire…
Et, qu’est ce que « ne pas avoir juridiction sur l’Orient » ? C’est l’expression de la conception de territoire canonique des
Orthodoxes selon laquelle une Église possède un territoire canonique sur lequel une autre ne peut en aucun cas intervenir. Cela a pour corollaire le fait que les diverses Église Orthodoxes
nationales s’estiment propriétaires des âmes des peuples de leurs nations, et qu’elles crient au prosélytisme lorsqu’un russe, ou un bulgare etc… choisi de quitter l’Orthodoxie pour une autre
confession. Et le libre arbitre dans tout ça ? D’autant plus que cela au final s’avère contre-productif, les russes étouffés par leur Église nationale sont plus de 10% (Eh oui, cela ne
correspond pas au cliché populaire de la « Sainte Russie » donc peu de gens le savent) à avoir choisi le protestantisme (sous ses formes répandues en Russie, le baptisme, le
luthéranisme et le méthodisme).
D’autre part Mgr. Hilarion ne devrait pas utiliser cet argument du territoire canonique, qui pourrait se retourner contre lui : il a en
effet été précédemment Évêque Orthodoxe de Vienne (Autriche), siège qui est selon ses propres conceptions sur le territoire canonique de l’Église Latine…
Nous sommes toujours en train de discuter du rôle de l’Évêque de Rome au premier millénaire, et là nous voyons de grandes différences entre les Orthodoxes et les
Catholiques. Si nous nous mettons à discuter de ce rôle au second millénaire, les différences seront encore plus grandes. Donc, il est impossible de dire que nous sommes en train de résoudre le
problème de la primauté.
Ceci est une position réaliste. La primauté pontificale sera discutée encore pendant des décennies avant d’être l’objet d’un accord permettant
la communion Eucharistique entre les deux Églises.
Je crois que nous autres Orthodoxes ne sommes pas nous-mêmes clairs lorsque nous tentons d’expliquer ce que nous voulons dire par primauté, et comment cette
primauté devrait s’exercer. Il y a, par exemple, des différences entre la primauté telle qu’elle est comprise par le Patriarcat de Constantinople, et la primauté telle que comprise par le
Patriarcat de Moscou. »
Eh oui, le monde Orthodoxes est très fragmenté, divisé en Église nationales nationalistes, comportant de nombreuses petites Églises non
canoniques (Églises d’Estonie, Église de Macédoine…), objets de conflits entre les grands patriarcats. Nous Catholiques ne conversons pas avec l’ « Orthodoxie » mais avec des
Églises nationales qui ont leurs conflits entre elles. En fait, avant de se réconcilier avec l’Église Catholique, les Églises Orthodoxes devraient se réconcilier entre elles. Espérons que ce sera
un des résultats du grand concile panorthodoxe dont ces Églises parlent depuis les années 60 et qui parait-il est prévu pour bientôt.