Un entretien avec Mgr. Joseph Werth, Évêque de Novossibirsk
Par Mario Ponzi
Traduction Louis Marie
Les armes épiscopales latines et grecques de Mgr. Werth.
L’unité de l’église, le dialogue œcuménique, les vocations, l’évangélisation, la défense de la dignité humaine : tels sont les objectifs donnés par Benoît XVI
aux Évêques de Russie lors de leur visite ad limina en Janvier 2009. Mgr. Joseph Werth témoigne de son expérience pastorale dans l’immensité sibérienne et décrit la situation actuelle de l’Église
Catholique en Russie.
Mario Ponzi : « - On peut dire que l’Église en Russie est née de nouveau après 1991. Quelle a été votre expérience durant ces années ?
Mgr. Werth : - Lorsque je suis arrivé en Sibérie, un territoire de 13 millions de kilomètres carrés, n’y résidaient que trois Prêtres Catholiques. Il y avait
un très petit nombre de communautés, dont ces Prêtres prenaient soin. Les autres Catholiques étaient éparpillés en petit nombre partout dans cette vaste région. Ma première tâche a été
d’identifier mes ouailles et de les regrouper en communautés plus ou moins grandes. Je pense en particulier à mon diocèse, le diocèse de la Transfiguration à Novossibirsk, qui n’englobe qu’un
tiers de la Sibérie, appelé Sibérie Occidentale, où nous avons une soixantaine de communautés de taille importante, et environ 300 plus petites qui ne sont visitées que périodiquement par un
Prêtre. En arrivant ici, et en voyant que je n’avais pas de Prêtres, je me suis demandé comment en trouver. L’aide vint de l’étranger, et actuellement la plupart de mes Prêtres en
proviennent.
Mgr. Werth dans les années 90.
M.P. : - Et en ce qui concerne les vocations sacerdotales en Russie ?
Mgr. W. : - J’ai tout de suite pensé à ouvrir un séminaire. Comme je n’avais pas assez de ressources financières pour ouvrir un vrai séminaire, j’ai commencé
par un petit séminaire, qui a vu passer 120 élèves en 16 ans. À dire vrai, très peu d’entre eux sont devenus Prêtres. C’était en 1993, et la même année un grand séminaire a été ouvert à Moscou,
qui a depuis a déménagé à St. Petersbourg. À Novossibirsk, en 1991, il n’y avait qu’une minuscule église: il fallait donc construire des églises, ouvrir des lieux de prières. C’est ce que
nous avons fait, et nous continuons à le faire, parce qu’aujourd’hui encore, beaucoup de communautés n’ont pas d’église ni aucun endroit où prier et célébrer la Messe. Les Messes sont célébrées
en attendant dans les maisons des fidèles. Le Prêtre dit la Messe avec la petite Église domestique.
Messe à la cathédrale de Novossibirsk.
M.P. : - Quel est l’état de la liberté religieuse en Russie aujourd’hui
Mgr. W. : - Je suis né pendant la période soviétique (au Kazakhstan, NDLR) et je sais quelle était la situation à cette époque. Donc, je peux aujourd’hui
affirmer avec enthousiasme que nous avons la liberté de religion. Mais nous ne jouissons d’aucun privilège de la part de l’État, au contraire, nous avons certaines difficultés, par exemple au
sujet des visas. Nous attendons que l’État change la Loi afin que nos Prêtres et nos religieuses puissent obtenir non plus seulement un visa touristique mais un visa longue-durée leur permettant
de rester avec nous et de prendre soin des fidèles pendant un temps ininterrompu. Durant les 18 dernières années, je n’ai jamais assisté à une quelconque infraction directe de la liberté de
culte.
La première église de Novossibirsk.
M.P. : - Quelles sont vos relations avec les communautés Orthodoxes ?
Mgr. W. : - Honnêtement, elles pourraient être meilleures, et il faut espérer qu’elles le seront un jour. Comme je l’ai dit, mon diocèse fait 4 millions de
kilomètres carrés, et sur ce territoire l’Église Orthodoxe a 10 diocèses. Jusqu’à maintenant, je n’ai rencontré que quelques uns de leurs Évêques. J’envoyai chaque Noël des vœux à mes frères
Orthodoxes, et lorsque le Patriarche Alexis est mort, je les ai assurés de nos prières pour lui. Deux Évêques me répondirent, et c’est un signe positif. Nous devons nous réjouir de chaque petit
succès.
Le 19 Décembre (2008, NDLR), moi-même et le nonce apostolique Mgr. Antonio Mennini avons offert à l’Évêque de Kemerovo une relique de Saint Nicolas de Bari. Le
résultat a été vraiment merveilleux, et j’espère que d’autres occasions pareilles se reproduiront (NDLR : l’Évêque de Kemerovo a offert en retour en 2009 une relique pour l’Autel du couvent
des carmélites de Novossibirsk). Bien que le dialogue à haut niveau soit encore ardu, un dialogue basique a toujours existé, particulièrement durant la période communiste lorsque toutes les
religions étaient également persécutées. Dans ces circonstances, les fidèles Orthodoxes et Catholiques devinrent très proches les uns des autres. Il est dommage que dans la période plus récente,
nous n’ayons pas fait le maximum pour atteindre, sinon l’unité, du moins une meilleure compréhension mutuelle. Nous prions pour que cela arrive le plus tôt possible.
Mgr. Werth célébrant dans le rite Byzantin (il est également visiteur apostolique pour les Catholiques de rite Byzantin de Russie)
M.P. : - Comment l’Église Catholique est elle présente dans la société, et comment est-elle acceptée ?
Mgr. W. : - L’Église Catholique en Russie est une minorité. Les personnes ayant des racines Catholiques, mais qui ne pratiquent pas forcément leur foi, ceux
dont les parents ou les grands-parents étaient polonais, ukrainiens, allemands ou lithuaniens ne représentent qu’un pour cent de la population. Dans tous les cas, une si petite minorité est
imperceptible au sein de la société. L’association Caritas est très active dans le diocèse, par exemple à Novossibirsk même, nous avons lancé beaucoup de projets sociaux qui ont été bien
accueillis par la municipalité et les gens. Nous avons deux écoles, une école primaire et un collège, un journal Catholique et un studio télé, qui produit des émissions télévisées.
M.P. : - Le message de l’Église Catholique peut-il circuler librement en Russie par ces moyens de communication ?
Mgr. W. : - Nous n’avons jamais eu aucune difficulté de ce côté, personne ne nous a jamais interdit de disséminer des informations par ces moyens de
communication. Certaines paroisses ont des sites internet avec le calendrier des célébrations. Les endroits où il est le plus difficile d’être présents sont les écoles et les universités.
Mgr. Werth déposant une pierre bénie dans les fondations d'une nouvelle église à Sourgout.
M.P : - Parmi les défis pastoraux auxquels le Pape vous appelle à répondre, il y a la consolidation de la présence Chrétienne dans le pays, la proclamation de
l’Évangile dans un environnement rétif et le soutien pastoral à la famille. Comment pensez-vous y faire face ?
Mgr. W. : - Les Chrétiens d’aujourd’hui sont confrontés, à l’Occident comme dans notre pays dominés pendant 70 ans par un athéisme militant, à de nombreux
défis. Y répondre nécessite l’unité des Chrétiens tout particulièrement, parce que le l’Église Catholique ne peut rien faire seule, et l’Église Orthodoxe est plus faible sans aide. Si toutes les
Églises Chrétiennes pouvaient coopérer, les valeurs Chrétiennes seraient défendues et protégées plus efficacement. Nous voyons que ce sont les familles qui ont le plus souffert du communisme. Les
paroisses qui existent depuis 15 ans et plus sont désormais composées en majorité de jeunes familles. Nous célébrons de plus en plus fréquemment des Baptêmes d’enfants, alors qu’avant nous
baptisions en majorité des adultes. De plus en plus de gens se marient. À la cathédrale de Novossibirsk comme dans les paroisses, nous invitons chaque mois les jeunes familles à un
rendez-vous afin d’échanger sur un sujet donné. Ces familles passent du temps ensemble, se parlent et se connaissent. Certaines rencontres sont certainement très importantes pour elles.
La Cathédrale de Novossibirsk en construction et la chapelle provisoire (dans les années 90).
M.P. : - En ce qui concerne le soin pastoral apporté aux familles, y a-t-il des projets en commun avec les Orthodoxes ?
Chaque année dans notre diocèse nous organisons une conférence pastorale pour tout nos Prêtres et nos religieux et religieuses. Tous les trois ans, nous y invitons
aussi des laïcs. Ces conférence ont été consacrées deux fois à la famille, l’année dernière (2008, NDLR) et en 1997, parce que la famille est le premier noyau et le plus important de la société
humaine. Dans chaque paroisse nous faisons tout notre possible pour consolider la famille. Je ne sais pas si quelque chose de ce genre pourrait être fait en commun avec les Orthodoxes. Ce genre
d’initiatives est généralement du ressort des Focolari ou du Chemin Néocatéchuménal.
Ce que nous faisons depuis des années à Novossibirsk en commun avec les Orthodoxes, c’est la promotion de la vie naissante, et le combat contre l’avortement. De
nombreuses personnes Catholiques et Orthodoxes organisent ensemble des conférences sur ces sujets dans les écoles et les hôpitaux. Grâce à cela, des enfants ont été sauvés. C’est un exemple de
collaboration entre Catholiques et Orthodoxes. Nous espérons que la situation de la vie naissante finira par s’améliorer.
La situation présente de la famille en Russie semble satisfaisante : n’oublions pas que depuis de nombreuses années, le gouvernement a mis en place une
politique favorable à la famille et aux naissances. Les parents ayant deux enfants reçoivent 250 000 roubles par enfant, ce qui correspond à 10 000 dollars. C’est très certainement une
bonne initiative. D’autres mesures ont été prises afin de promouvoir et de consolider la famille. Ces temps-ci, dans la rue et les transports publics, on rencontre souvent des femmes enceintes et
des familles ayant des petits enfants : cela n’était pas fréquent les années précédentes. Je pense que dans les 10 dernières années, la situation en Russie s’est réellement améliorée.
Eglises de Barnaoul, Bratsk et Omsk.
Le site du diocèse de Novossibirsk.