J’aime le théâtre. Ce n’est pas étonnant, tout homme devrait aimer le théâtre, et tout français les pièces de Jean Racine. L’idée d’aller entendre son chef-d’œuvre, Phèdre, à la Comédie-Française qui plus est, me remplissait d’impatience !
Et bien cette pièce m’a fait l’effet d’un soufflé qui retombe. Les mots les plus beaux du monde y ont été terriblement maltraités par une mise en scène prétentieuse et irritante de Michael Marmarinos. Notons bien que ce n’est pas précisément le caractère moderne de cette scénographie qui est irritant, car il peut y avoir de belles mises en scènes modernes voire contemporaine. Mais ici, les moyens mis en place attiraient l’attention sur eux-mêmes, et sur l’ego manifestement surdimensionné du metteur en scène, voilant la beauté du texte. Marmarinos refuse de placer l’action en Grèce antique, selon le livret « la Grèce antique aurait été trop abstraite pour [lui] », mais plus que cela, il refuse l’universalité qui découle de ce placement historico-spatial mythique, nous livrant une Phèdre démythifiée, au point qu’on ne perçoit plus le fatum qui est à l’œuvre. S’ensuivent des considérations absconses sur la période de « romantisme personnel précédant [sa] naissance ».
Il serait sans doute fastidieux d’énumérer tous les motifs de mécontentement à y trouver, mais je mettrais au premier chef la quasi-robotisation des acteurs. Ceux-ci sont froids comme un bloc de marbre, notre tragédie est devenue un film suédois à la Bergman. Ils bougent, ils crient parfois, mais ils ne s’adressent jamais véritablement l’un à l’autre, semblant débiter leur texte à l’audience. Audience, qui se découvre inconfortablement personnage de la pièce. Cela découle du choix visiblement réfléchi de Marmarinos de briser complètement l’illusion théâtrale, qui se manifeste également par la disparition du rideau rouge, l’utilisation d’un micro sur pied placé face au public de telle sorte que les grandes tirades sont débitées d’un ton monocorde face au public, et, suprême irritation, l’intégration des didascalies dans le texte dit ! Alors quand Théramène place un « Théramène dit » avant certaines de ses répliques, le sang d’un amateur de théâtre ne peut que bouillonner face à cette insulte faite au texte.
On ne peut aussi que se lamenter de la susurration inaudible apparemment imposée aux acteurs par le metteur en scène de la plupart de la pièce (tout au moins des répliques qui n’étaient pas microphonées !), chuchotement de plus souvent couvert par une omniprésente musique de violons donnant un petit côté Les feux de l’amour à la tragédie antique.
Du décor par ailleurs beau ressort l’incongruité de la présente d’un poste de radio, apparemment capital dans l’idée de Marmarinos, qui ne sert qu’à faire chanter à Panope un chant espagnol lorsqu’elle annonce à Thésée la mort d’Oenone (???). Cette présence est expliquée allusivement dans le livret par une pédanterie grammaticalement incorrecte : « le maintenant de l’extérieur à côté du drame privé ». Allez comprendre.
Ainsi, ce metteur en scène tombe complètement à côté. Ce qui est dommage, car il y a du vrai et du sensé dans ce qu’il relève dans son petit laïus à l’intention du livret. Oui, Phèdre est une tragédie de mots, on cherche le soulagement en les laissant échapper après les avoir longtemps réprimé par respect des conventions, pour ensuite assister impuissant à l’horreur que déchainent ces confessions faites à brûle-pourpoint. Et oui, le chœur invisible mais qui fait irruption sur scène à chaque utilisation du mot « on » représente la Cité toute entière qui fait entrer ce drame privé dans la sphère publique.
On peut donc regretter que les bons acteurs de la comédie, dont l’étoile montante est Pierre Niney, qui tenait le rôle d’Hippolyte, n’aient pas été mis à profit de meilleure manière.