Un entretien avec le cardinal Joseph Zen, Évêque émérite de Hong-Kong.
Par Anthony Clark, Ph.D.
NDLR : Le Dr. Anthony Clark, Professeur assistant d’histoire de l’Asie à l’Université Whitworth de Spokane (État de Washington, USA) est allé en Chine faire
des recherches cet été. C’est à cette occasion qu’il réalisa cet entretien avec le Cardinal Joseph Zen, quelques jours après avoir interrogé l’Évêque de Shanghai Mgr. Aloysius Jin Luxian.
Hong-Kong est incontestablement la ville la plus moderne d’Asie, et un phare mondial du matérialisme. Nichée parmi son réseau d’autoroutes urbaines, d’escaliers
roulants et de gratte-ciel se trouve un petit immeuble abritant une modeste communauté de Salésiens, qui servent les pauvres et éduquent les jeunes suivant l’exemple de St Jean Bosco. Il est
difficile d’imaginer que c’est dans cette discrète communauté que vit le prélat le plus proéminent et médiatisé de Chine, le Cardinal Joseph Zen S.D.B.
Après avoir obtenu une audience, l’Abbé Paul Mariani S.J. et moi-même avons attendu Son Éminence au rez-de-chaussée de sa résidence à la Maison Salésienne des
Études. Le Cardinal Zen nous a rejoint, et, baissant la climatisation, nous a informé du fait qu’il ne se sentait « pas très bien » ce jour là. Malgré sa maladie, il fut généreux de son
temps, et démontra sa réputation d’honnêteté et de réalisme à propos de la situation de l’Église en Chine.
Mgr. Zen fut Évêque de Hong-Kong de 2002 à 2009, et créé cardinal par le Pape Benoît XVI en 2006. Lorsqu’il fut lui fut demandé lors d’un précédent entretien s’il
avait l’intention de se reposer pendant sa retraite, il répondit : « Je prends ma retraite, mais je ne vais pas cesser de travailler pour l’Église qui est en Chine ». Il est
évident que le Cardinal Zen est un ouvrier profondément pieux dans la vigne du Seigneur, et qu’il a voué son cœur au soulagement des souffrances des Chrétiens vivant de l’autre côté de la Grande
Muraille. Il est peut-être l’homme d’aujourd’hui le mieux informé de ce qu’ils vivent.
Notre discussion s’ouvrit par une question à propos de la phrase de Tertullien « Le sang des Martyrs est semence pour l’Église ».
Anthony Clark : « - Éminence, pourquoi la Chine a-t-elle produit un grand nombre de Martyrs au cours de son histoire, et pourquoi de si fortes
persécutions persistent encore aujourd’hui ?
Cardinal Zen : - Lorsque nous évoquons la situation en Chine, nous parlons de persécutions sous un régime communiste. Si le communisme en ses principes
est le même partout, il peut présenter différentes caractéristiques selon les pays. La Chine est un pays où, fondamentalement, les Chrétiens sont minoritaires, et où les missions ont
été considérées comme impérialistes. Subséquemment, les persécutions y furent cruelles et sans pitié. Également, le régime chinois étant une version « améliorée » du communisme, le
contrôle exercé sur les religions y est particulièrement étroit.
A.C. - Pourquoi, si le gouvernement chinois souhaite que les Catholiques de Chine soient en tout points chinois, a-t-il pourtant interdit la vénération des Saints
chinois canonisés par Jean-Paul II en 2000 ?
C.Z. - On ne peut jamais savoir ce que le gouvernement communiste chinois a en tête, car il garde le secret sur ses décisions. Après l’annonce
par le Vatican des canonisations, les autorités demandèrent aux Catholiques de signer un document désavouant le Pape. Cependant, la décision de faire se tenir la cérémonie un premier Octobre,
fête nationale en Chine, était, bien évidemment, une importante erreur. Choisir le jour où la Chine célèbre le début du gouvernement communiste pour canoniser des Saints a été considéré par le
parti comme une insulte voulue. Et de par le contrôle du gouvernement sur les activités religieuses, très peu de chinois sont au courant de la canonisation des 120 Martyrs.

A.C. - Un autre problème auquel l’Église en Chine doit faire face est un nationalisme grandissant…
C.Z. - Tout d’abord, les Catholiques chinois restent chinois comme toujours. L’Église ne trahit pas l’identité chinoise.
A propos de l’escalade de nationalisme en Chine continentale, il faut garder à l’idée que les cultures chinoise et occidentale sont très différentes. Les
missionnaires travaillant ici apportent leur propre nationalité, et malgré tous leurs efforts, ce sont toujours des étrangers. Cela est naturel. De même, les missionnaires apportèrent avec eux la
théologie de St Thomas d’Aquin lorsqu’ils arrivèrent en Chine. Il n’y eut aucun problème avec cela, car il s’agit du meilleur de ce que l’Église enseigne. Occidentaux et chinois sont très
différents, et chacun doit être reconnaissant des apports de l’autre.
A.C. - Pourquoi la canonisation des premiers Martyrs chinois ne date-t-elle que de 1930 ?
C.Z. - Il est possible que le Vatican ne veuille pas irriter le gouvernement communiste. Pourquoi ne devrions-nous pas faire connaitre tous ces Martyrs qui
moururent sous les coups du régime ? Les gens n’osent rien dire, ils se disent que cela doit attendre des jours meilleurs. Mais quand seront-ces jours meilleurs ? Les jours
meilleurs, c’est maintenant.
Le Martyr signifie « témoignage », et les Martyrs chinois, ceux qui sont canonisés et ceux qui ne sont pas encore connus, méritent qu’on écrive sur eux,
et qu’on parle d’eux, cela afin de renforcer la Foi de ceux qui souffrent sous les persécutions d’aujourd’hui. C’est maintenant que les gens ont besoins d’encouragements.
A.C. - Quelle est la situation actuelle de l’Église officielle comme des communautés souterraines ? Bien que certains considèrent que les lignes de fracture
entre elles auraient tendance à s’atténuer, beaucoup de Prêtre et d’Évêques chinois pensent le contraire, à savoir que les divisions seraient de plus en plus importantes.
C.Z. - Entre 1989 et 1996, j’ai vécu en Chine continentale six mois par ans, enseignant auprès des séminaires de l’Église officielle, et ce faisant au séminaire de
Shanghai, j’en suis parvenu à la conclusion que ces gens étaient Catholiques, autant que tous les autres Catholiques du monde. Et par la suite, j’ai dit et répété qu’il ne fallait pas croire que
les communautés souterraines garderaient la Foi contre une Église Patriotique qui l’aurait trahie. Non, pas le moins du monde.
Lors d’un synode, j’ai expliqué qu’il n’y a qu’une seule Église en Chine, parce que dans leur cœur, les Catholiques chinois partagent tous la même Foi. Mais, si
l’on s’attarde sur le point de vue structurel, de comment ces communautés sont dirigées, il est clair que nous sommes en présence de deux Églises. L’Église souterraine est hors la Loi. Cela lui
donne une sorte de liberté, qui lui permet d’échapper à tout contrôle de la part gouvernement. En face, l’Église officielle est pieds et poings liés sous la coupe du gouvernement. On ne peut donc
absolument pas dire que les lignes de fracture s’atténuent. Certaines personnes soutiennent que l’Église souterraine devrait sortir de la clandestinité. Cela est tout à fait faux. Ce n’est pas
dans la lettre du Pape (aux Catholiques de Chine, publiée en 2007, ndlr), et ce mirage a été dissipé par le compendium de cette lettre (publié en 2009, ndlr). Le Saint Père nous
demandait la réconciliation des cœurs, pas la fusion en une seule structure.
Si le contrôle du gouvernement sur l’Église officielle est à ce point invasif, pourquoi les communautés clandestines devraient-elles la rejoindre ? Après tous,
ces communautés ont souffert très longtemps, et leur demander cela est injuste.
A.C. - Votre franchise peut parfois être mal perçue…
C.Z. - Quand, en Chine, on critique les communautés clandestines, je les défends, et quand on critique l’Église officielle, je la défends de la même manière, car
elles sont toutes deux persécutées. Mais malheureusement, la générosité que le Saint-Père a démontrée en légitimant les Évêque de l’Églises officielle n’a pas porté les fruits attendus.
Il y eut des compromis de la part des deux parties. Typiquement, le Saint-Père reconnaissait les Évêques choisis par le gouvernement, sans leur demander de se
distancier du pouvoir, et en échange, le gouvernement permettait ce genre de relations entre les Évêques et le Pape sans chercher à exercer de pressions sur ces Évêques.
Alors pourquoi les deux communautés restent à ce point divisées ? Une solution pourrait être trouvée, il est donc au-delà de mon entendement que la situation
reste inchangée. Ceux qui sont à blâmer sont ces Évêques qui ne veulent pas suivre la volonté de ceux qui gouvernent l’Église, mais plutôt leur propre intérêt.
Un autre problème est que beaucoup des Évêques approuvés par Rome ne sont pas fiables. Même ceux qui sont en communion avec le Pape vont dire « L’Église de
Chine doit être indépendante ». Comment peuvent-ils se dire en communion avec le Saint-Père ? C’est incroyable.
A.C. - Pensez-vous que la lettre du Pape aux Chrétiens de Chine ait enlevé sa raison d’être à l’Église souterraine, Benoît XVI y suggérant que d’être
souterraine n’est pas la manière habituelle de fonctionner de l’Église ? La lettre du Pape n’aurait-elle pas créées d’une façon ou d’une autre de nouvelles confusions au sein de l’Église qui
est en Chine ?
C.Z. - Non, en Chine les Catholiques sont scandalisés de ce que les Évêques de l’Église officielle qui ont été reconnus par le Pape continuent de se ranger du côté
du gouvernement. Le Pape n’a pas demandé à l’Église souterraine de faire surface et de rejoindre l’Église patriotique, mais a simplement mis en lumière l’anormalité de la situation chinoise. En
effet, les communautés clandestines ont des raisons de se défier de l’Église officielle. Bien évidemment, on m’a critiqué, les gens disent « Qui êtes vous, Cardinal Zen ? Vous-même
vivez en paix, et vous poussez vos frères au Martyr ». Je ne pousse personne au Martyr : le Martyr est une grâce particulière de Dieu. Mais je pense aussi que lorsqu’on est Évêque, on
doit agir en cohérence avec sa Foi. La chose la plus importante aux yeux des communistes est le contrôle, et ils ont trouvé en l’Association Catholique Patriotique le moyen de contrôler l’Église
qui est en Chine.
A.C. - Pouvez-vous nous expliquer comment l’Église Patriotique est contrôlée en Chine continentale ?
C.Z. - En premier lieu, M. Liu Bainan, l’actuel vice-président de l’Association Catholique Patriotique Chinoise est peut-être le rouage le plus important dans les
efforts du gouvernement pour contrôler les Catholiques de Chine. Depuis de nombreuses années, il est à la tête de l’Église qui est en Chine, et les Évêques ne sont pas grand-chose de plus que ses
esclaves. Lors des dîners entre M. Liu et les Évêques, celui-ci est le seul à parler. Ce n’est que lorsqu’il est parti que les autres présents peuvent prendre la parole. C’est très humiliant.
Certains, pourtant, voient en lui un Saint. Que pouvons-nous faire ? C’est incroyable.
La cathédrale N.-D. de l'Immaculée Conception de Hong-Kong
A.C - Certains de vos détracteurs considèrent que vous et M. Liu représentez deux extrêmes qui gardent l’Église qui est en Chine divisée…
C.Z. - Ils n’ont pas tort. Nous représentons vraiment deux extrêmes. Lui veut que l’Église chinoise demeure séparée de Rome, il a pris parti pour les sacres
épiscopaux illicites, et pour de grandes réjouissances à l’occasion de la célébration des 50 ans de l’Association Catholique Patriotique. Il y a même de nombreuses preuves de ce que, en bien des
choses, il va au-delà des instructions du gouvernement. Par exemple, quand le gouvernement convoque cinq Évêques à un synode, Liu y envoie un sixième. Le gouvernement lui-même ne peut se
satisfaire de cette situation.
La situation s’arrangerait si, tout simplement, les Évêques prenaient au sérieux la récente lettre du Saint-Père à l’Église qui est en Chine. Je ne peux pas
comprendre pourquoi ils ne la prennent pas au sérieux. Certains en donnent même une fausse interprétation.
A.C. - Malgré les sérieux problèmes que l’Église qui est en Chine rencontre, le nombre de Catholiques continue d’augmenter. On peut se demander si en cela l’Église
agit bien.
C.Z. - Il n’est pas surprenant que les gens cherchent un soutien dans le Christianisme alors que la Chine se trouve dans un état si désordonné. Il faut garder à
l’esprit que les Chrétiens de Chine demeurent une petite minorité, et qu’on ne peut en demander plus qu’elle ne peut à l’Église chinoise ces temps-ci. L’Église qui est en Chine doit aujourd’hui
se battre pour sa survie, à la différence de l’Églises dans d’autres parties du monde. Et malgré ce besoin de se battre pour survivre, elle arrive à évangéliser et à exercer la charité.
A.C - Pour terminer, Éminence, que pensez-vous que puissent faire les Catholiques étrangers pour l’Église chinoise ?
C.Z. - Je pense que la première chose à faire est de connaitre l’Église qui est en Chine. Il est dommage qu’il y ait beaucoup de personnes qui savent ce qui se
passe ici et n’en parlent pas, et beaucoup de gens qui parlent des Catholiques de Chine sans vraiment en connaitre quoi que ce soit. Il y a aujourd’hui beaucoup trop de confusion. Oui, beaucoup
trop de confusion.
Le Saint-Père a les idées extrêmement claires en ce qui concerne l’Église en Chine, et nous avons de la chance d’avoir un tel Pape ».
Le Cardinal termina avec une prière à Notre Dame, Aide des Chrétiens. Alors que nous le quittions, il nous dit qu’il devait se dépêcher afin de pouvoir dire sa
Messe quotidienne, et bénit pour nous des images de Notre-Dame de Chine.
La cathédrale N.-D. de l'Immaculée Conception de Hong-Kong
Le Cardinal Zen est un homme d’Église profondément soucieux de la Foi et de la liberté de ses frères chinois. Et il est clair qu’il ne se reposera pas tant que le
gouvernement communiste ne donnera pas à l’Église une totale indépendance de son contrôle. D’après lui, « Le mot de la fin ne doit pas appartenir exclusivement à un gouvernement
athée ». Ce n’est rien moins que la tâche d’affronter un système, selon ses propres mots, « cruel et sans pitié ». Malgré les combats des temps présents, le
Cardinal Zen est un homme plein d’espoir : comme il le disait, « L’hiver est passé, et le printemps va arriver ».
