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L'humeur d'un cérémoniaire du dimanche... Sujets de fond et sautes de caractère.

Le plus grand village Catholique de Chine

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Par Anthony E. Clark, Ph.D.

 

NDLR : Le Dr. Anthony Clark, Professeur assistant d’histoire de l’Asie à l’Université Whitworth de Spokane (État de Washington, USA) est allé en Chine faire des recherches cet été. Cet article a été écrit le 8 Juillet 2010.

 

En traversant les provinces les plus pauvres de la Chine, on voit le plus souvent des camions-benne remplis de charbon, des carrioles à mulet débordant de légumes fraîchement récoltés, des paysans accroupis fumant de longues pipes, et des masures délabrées sur les bords de la route. Apparait parfois un pavillon ou un temple, mais la plupart ont été détruits durant la Révolution Culturelle de 1966-76.

Les églises Catholiques ont surtout souffert durant deux périodes, la rébellion des Boxers de 1898-1900 et la Révolution Culturelle. Les Boxers anti-étrangers, appelées « poings de l’harmonie vertueuse » ont ravagées les provinces de Chine du Nord en attaquant les Chrétiens et détruisant les églises, et quand les Gardes Rouges ont été missionnés pour détruire les « quatre vieilleries » (vieilles idées, vieilles coutumes, vieilles habitudes et vieille culture), ils s’attaquèrent non seulement à tout ce qui semblait traditionnel, mais aussi à tout ce qui était étranger ou  portait une signification spirituelle. Étant à la fois anciens, traditionnels, étrangers et la marque d’une religion, les églises Catholiques, les orphelinats, les séminaires et les hôpitaux ont connus une importante vague de destructions sous l’ère maoïste.

Malgré ces évènements, la Chrétienté chinoise a grandi à vitesse météoritique dans les dernières décennies, passant d’environ 4 millions de fidèles en 1949 à 50 millions aujourd’hui. Le gouvernement actuel, en comparaison avec l’intolérance précédente, se montre relativement ouvert face à cette croissance, bien que la situation demeure instable, et que les derniers évènements suggèrent un accroissement du contrôle des autorités sur les activités de l’Église Catholique. Des caméras de surveillances ont été installées à l’entrée des églises, et la position du Bureau des Affaires Religieuses envers les « interférences » romaines dans les affaires de l’Église qui est en Chine s’est raidie. L’autorité pontificale, l’avortement, et le choix des Évêques continuent à être des sujets sensibles, bien que le niveau d’intensité de ces conflits diffère selon les provinces.

Une des success-story les plus étonnantes du Catholicisme en Chine est le village de Liou Hé Koun, situé à une heure de route de la capitale déshéritée du Shanxi, Taiyuan, centre de ce qui est le diocèse le plus Catholique de Chine. Liou Hé Koun est difficile à trouver sans aide, il vaut donc mieux être accompagné d’un Prêtre local. Sur la route, l’un des plus grands secrets du Shanxi se révèle : village après village, église après église, de hautes flèches s’élèvent au dessus de chaque hameau, comme dans le Sud de la France.

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Statues de Saints à l'entrée du village de Liou Hé Koun

 

En arrivant à Liou Hé Koun par une route étroite, on est accueilli par trois grandes statues à l’entrée du village : St Pierre tenant ses clefs est encadré par Sts Simon et Paul. Une demi-heure avant la Messe, les hauts parleurs du village, autrefois zélés diffuseurs de la pensée de Mao et des slogans du parti, diffusent la récitation du chapelet. En cheminant à travers la bourgade, l’église, un large édifice comportant un dôme s’impose aux regards, et une fois arrivés sur son parvis, le visiteur est accueilli par un curieux mélange d’architecture néo-gothique, de palmiers jaunes en plastique, et de bannières colorées claquant au vent. Le Shanxi a ses goûts, bien particuliers, par exemple, chaque église comporte deux grandes pendules comtoises (personnes ne pu m’instruire de l’origine de cette curieuse coutume) et des rangées de drapeaux colorés sur son parvis.

Liou Hé Koun est le plus grand village Catholique de Chine. Assister à l’une des Messes du Dimanche, attirant chacune près de 3 000 fidèles, est stupéfiant. Avant la Messe des Prêtres et des fidèles s’agenouillent et chantent le chapelet sur une psalmodie locale (celle-là même qui est diffusée par les haut-parleurs du village). Dans ce qui n’est qu’un minuscule village selon les critères chinois (autour de 7 000 habitants) 90% de la population est Catholique. L’une des raisons de ce fort attachement à la Foi, d’après les villageois, est les épreuves qui leurs furent imposés durant les deux terribles périodes de persécutions anticatholiques.

Il circule de nombreux récits populaires sur la manière dont le village de Liou Hé Koun a survécu à la révolte des Boxers. L’Abbé Zhang Junhai, le curé de la paroisse m’en a raconté une : A l’Été 1900, alors que les Boxers étaient à l’approche de la bourgade, la Vierge Marie est apparue au dessus du clocher de l’église, en robe blanche, les mains étendue devant Elle. Une armée d’Anges L’entourait, et Elle indiquait la direction d’où les Boxers provenaient. Suite à cela, les hommes du village purent se préparer à contrer l’attaque. Les villageois attribuent aussi à la sainte garde de la Vierge le fait que les canons des Boxers explosèrent en faisant feu. Aujourd’hui, la dévotion à Marie imprègne toute la communauté : toutes les familles possèdent une image de Son Cœur Immaculé devant laquelle elles disent le chapelet chaque soir.

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L'église de Liou Hé Koun pendant la Révolution Culturelle

 

Bientôt sept décennies après la révolte des Boxers, la Révolution culturelle vint troubler la paisible vie quotidienne de Liou Hé Koun. L’église paroissiale fut vidée de ses bancs, l’Autel laissé nu, et les murs et piliers couverts de slogans révolutionnaires. Comme dans toute la Chine à cette époque, l’église de Liou Hé Koun fut fermée et les fidèles durent se joindre à la démence radicale des Gardes Rouges ou bien souffrir terriblement pour leur Foi. Quelques villageois érigèrent une tente afin d’y dire la Messe sur un Autel de fortune. Un nonagénaire nous raconta sans faux semblants l’arrestation et les violences faites à son oncle franciscain sous Mao. Le Prêtre fut battu plusieurs fois, ce qui consistait en arrachage des cheveux, coups et blessures diverses, et une stricte isolation. Après pareils traitements, ce Prêtre mourut d’une blessure à la tête. Ces récits de miracles, et le sacrifice de Martyrs comme ce franciscain qui mourut en 1969 ont conforté et confortent encore toute la population à garder précieusement sa Foi.

Pour l’Abbé Zhang, les combats d’aujourd’hui sont différents, il ne s’agit plus tant de résister à la persécution qu’au matérialisme qui envahit peu à peu la Chine. Lorsque les enfants et les jeunes restent au village, ils se rendent au catéchisme, et à la plupart des cérémonies religieuses et évènements paroissiaux. Comme le village est quasiment entièrement Catholique et pratiquant, la communauté est relativement peu affectée par le consumérisme et le sécularisme chinois actuels. Mais comme il y a moins de 3% de Chrétiens en Chine, ceux qui s’en vont chercher du travail ou étudier ailleurs manquent de soutien spirituel. Si les villageois peuvent s’appuyer les uns sur les autres, comme par exemple lorsqu’ils s’entraident afin de payer les amendes nécessaires pour avoir plusieurs enfants, il est bien plus difficile de résister aux pressions des politiques officielles hors de la communauté. Liou Hé Koun est en effet le plus grand village Catholique de Chine principalement parce que ses familles ont élaboré de multiples stratégies leur permettant d’avoir beaucoup d’enfants, qui sont ensuite élevés dans des familles très pratiquantes. En allant à la Messe dans l’immense église, on ne peut qu’être étonné à la vue de ces familles nombreuses, un fait exceptionnel dans la Chine de l’enfant unique.

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La façade de l'église de Liou Hé Koun

 

Il y a deux siècles, Liou Hé Koun n’était rien d’autre qu’un hameau perdu au milieu des champs. Aujourd’hui, c’est un succès de l’Église Catholique dans un pays où les persécutions furent lourdes et subsistent toujours. Lorsqu’on le questionne sur les sentiments des villageois pour le Pape, L’Abbé Zhang insiste sur sa loyauté au Saint-Père et sa volonté de suivre ses enseignements. J’ai en effet remarqué, bien en évidence sur le mur du bureau de la paroisse, une bénédiction pontificale, alors que le curé me répondait : « Nous sommes une paroisse très traditionnelle, pas comme dans certains pays ». Malgré ses diverses irrégularités dans ses relations avec Rome, l’Église qui est en Chine possède une identité Catholique et un attachement au Pape bien plus forts que dans bien des pays.

Liou Hé Koun est un endroit extraordinaire, et relativement libre de toute interférence gouvernementale, sans doute à cause de son éloignement des grandes villes, et de son appartenance à une province arriérée. Le village est en effet extrêmement pauvre, et les mirages du confort matériel chassent de plus en plus d’habitants chaque année. Bien qu’une partie de ceux qui s’en vont cesse de pratiquer, Liou Hé Koun est l’une des principales sources de vocation de toute la Chine. Il semble que dans chaque diocèse ou presque il y ait un jeune Prêtre qui en soit originaire, et c’est un fait que la plupart des Catholiques de Chine ont entendu parler de cet endroit.

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La nef de l'église (plus de 3 000 places)

 

La Foi de ce petit village Catholique est passionnée, et même le nom de la bourgade est une allusion au rôle de Dieu dans l’existence humaine. Les chinois croient en l’harmonie entre les « 5 directions », (« Wuhe »), Nord, Sud, Est, Ouest et Milieu. En se convertissant, le village adopta le nom de « Liou Hé Koun », « village des 6 directions », car il ne

peut pas y avoir d’harmonie sans Dieu, la « 6e direction ».

Lorsque nous quittâmes Liou Hé Koun après avoir assisté à une Messe célébrée comme à St Pierre de Rome, des centaines de villageois, à commencer par l’Abbé Zhang, son vicaire, et le bedeau s’alignèrent sur les marches de l’église pour nous regarder partir. Des centaines d’enfants se trouvaient là, riant et jouant ensemble joyeusement. Je me demandais combien d’entre seraient un jour amenés à servir l’Église comme Prêtre ou religieuse, et aussi combien de chinois de bases avaient entendu parler de ce village merveilleux, totalement inattendu au beau milieu de la province aride du Shanxi.

En regardant derrière moi s’éloigner l’énorme église néo-gothique entourée de toute sortes de chinoiseries, j’ai pensé à l’universalité de l’Église Catholique. Aucun occidental ne reconnaitrait la mélodie des prières et des cantiques, ou la langue, ou la manière dont les gens socialisent. Mais n’importe quel Chrétiens admirerait  la Foi profonde des humbles Catholiques de Liou Hé Koun, qui non seulement ont résistés à deux vagues de persécutions, mais s’en sont nourris comme une terre asséchée d’eau.

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Villageois priant le chapelet

 

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