L'humeur d'un cérémoniaire du dimanche... Sujets de fond et sautes de caractère.
Il n’y a pas de réponses faciles. Un entretien avec l’Évêque de Shanghai Aloysius Jin Luxian S.J.
NDLR : Le Dr. Anthony Clark, Professeur assistant d’histoire de l’Asie à l’Université Whitworth de Spokane (État de Washington, USA) est allé en Chine faire des recherches cet été. Cet entretien fut mené quelques jours avant celui avec le Cardinal Joseph Zen de Hong-Kong.
La cathédrale Saint-Ignace à gauche, et à droite le nouveau palais épiscopal
C’est au quatrième étage de l’imposant et nouveau palais épiscopal de Shanghai que se trouvent les appartements de l’Évêque officiel plus puissant de Chine, Mgr. Aloysius Jin Luxian, 94 ans. Alors que les millions de touristes qui déferlent en ce moment dans la ville afin de visiter l’Exposition Universelle recherchent un avant-goût du futur, l’antédiluvien Mgr. Jin semble être une relique du passé de la Chine, pré- et postcommuniste. Dans le paysage Chrétien d’aujourd’hui, il est devenu une figure imposante, comme son nouveau palais épiscopal, et accessible seulement après avoir traversé plusieurs niveaux de portes à code.
L’Évêque est extrêmement lucide et énergique, ce qui est surprenant de la part d’un quasi-centenaire souffrant de diabète. C’est un des hommes d’Église les plus énigmatiques, et on en arrive à se demander fréquemment si ses déclarations sont vraies, ou s’il s’agit d’une affirmation biaisée, mode d’élocution qui doit être le résultat de ses nombreuses années à négocier avec le pouvoir communiste. Ce pouvoir le tient d’ailleurs sous une surveillance sourcilleuse, en tant que prélat le plus médiatisé de Chine continentale.
Mgr. Jin fut en ce qu’il me semble franc avec moi, connaissant la vigilance que l’on doit conserver lorsqu’on évoque le rôle du gouvernement dans les questions religieuses.
Les églises Catholiques de Shanghai ne ressemblent pas aux autres églises chinoises : elles sont fréquentées par beaucoup d’étrangers, et reçoivent beaucoup d’argent de leur part. Elles sont donc beaucoup mieux entretenues. La patte de Mgr. Jin est discernable partout dans le diocèse, en ce qu’il l’a rendu solvable financièrement, notamment grâce à des devises étrangères. Et l’Évêque est incontestablement fier de ses succès. On peut pourtant se demander en quelle mesure le gouvernement à aidé à la renaissance du Catholicisme dans un diocèse dévasté par les purges et les pillages de la Révolution Culturelle. Certains considèrent que les résultats sont de plus grande importance que les moyens employés pour y parvenir. Pour les communautés clandestines cependant, la seule conduite acceptable est une obéissance sans contestation et un soutien total au Pape. Shanghai est donc un exemple de la façon dont l’Église qui est en Chine est divisée.
Certains faits concernant le diocèse sont peu connus : Mgr. Jin n’est en fait pas titulaire de son diocèse, et dans un pays où les ordres religieux sont interdits, il n’est pas le seul Évêque Jésuite. De fait, selon le Vatican, l’Évêque titulaire de Shanghai est Mgr. Fan Zhonglian S.J., et Mgr Jin son coadjuteur. Bien évidemment, selon le gouvernement chinois, cela n’est pas son statut : les documents officiels ne mentionnent que le « Père Évêque Jin » comme ordinaire du diocèse. Lorsqu’on questionne un Prêtre ou un Évêque chinois sur l’état de l’Église qui est en Chine, on se fait répondre « C’est compliqué ».
La nef et le choeur restaurés de la cathédrale St Ignace
Mgr. Jin est une personnalité compliquée, et il l’admet. Pour lui, sa complexité réside dans la façon dont il fait fonctionner les choses. Lors des grandes persécutions des années 50, lui comme son Évêque Mgr. Gong Pinmei (qui fut par la suite créé cardinal) furent arrêtés et emprisonnés pour avoir refusé la politique du parti. Désormais, de nombreux Catholiques se demandent si le succès de leur Évêque, qui a passé des décennies en prison, n’est pas lié à un changement d’approche de sa part envers le gouvernement.
Anthony Clark : « - Monseigneur, quelle est pour vous la situation générale de l’Église qui est en Chine en ce moment, et comment naviguez-vous parmi les difficultés qu’impliquent le fait d’être un Évêque Catholique dans un pays communiste ?
Mgr. Jin : - Effectivement, les choses sont compliquées ici. Je dois être à la fois serpent et colombe, et c’est ce que je suis. Pour le gouvernement, je suis trop proche du Vatican, et pour le Vatican je suis trop proche du gouvernement. Je suis tout à fait coincé entre le contrôle exercé par le gouvernement, et ce que me demande le Vatican. Lorsque je suis sorti de prison l’Église était totalement en ruines, et après avoir remplacé mon prédécesseur (Mgr. Aloysius Zhang Jiashu, consacré illicitement, ndlr), j’ai écrit des centaines de lettres aux Églises locales du monde entier quémandant de l’argent afin de restaurer le diocèse. La plupart de l’argent vint d’Allemagne, certaines sommes me parvinrent d’autres pays européens et d’Amérique. Mais je n’ai rien reçu du Vatican.
J’ai tenté de faire permettre de nouveau la prière pour le Pape lors de la Messe. Mais à cette époque, deux choses étaient strictement interdites : implémenter la réforme liturgique du Concile Vatican II, ce qui aurait constitué une capitulation devant des directives romaines, et prier pour le Pape pendant la Messe. Du point de vue du gouvernement, l’Église de Chine était entièrement indépendante de Rome. J’ai été plus de dix fois à Pékin demander aux autorités de nous autoriser à prier pour le Pape, mais elles y étaient opposées. De plus, comme nous devions dire l’ancienne Messe, j’ai contacté un ami allemand afin qu’il sauve et nous envoie le plus possible de Missale Romanum, en effet, c’était après le Concile et tout le monde s’en débarrassait. Il m’en a envoyé plus de 400 exemplaires, comprenant bien sûr la prière pour le Pape. J’ai également réussi à en faire imprimer de nouveaux exemplaires ici, et j’ai distribué tout cela partout en Chine. Puis, le nom du Pape a pu de nouveau être prononcé pendant la Messe.
A.C. - Malgré la résistance que vous opposez au gouvernement, vous êtes officiellement un « Évêque Patriotique ». Comment avez-vous utilisée votre position dans le but d’obtenir plus de libertés de la part de l’Association Catholique Patriotique pour l’Église dans votre diocèse ?
Mgr. J. - Je ne suis pas un « Évêque Patriotique », je suis un Évêque Catholique. De fait, dans l’annuaire du diocèse, il n’est pas une seule fois fait mention de l’Association Patriotique. Lorsqu’elle vida temporairement ses locaux dans la cathédrale et le palais épiscopal, j’ai très rapidement affecté ces espaces à d’autres usages, de façon à ce qu’elle ne puisse pas s’y réinstaller. Par conséquent, il n’y a plus d’Association Catholique Patriotique à Shanghai.
A.C. - Vous semblez être partisan de la dissolution de l’Église clandestine dans l’Église approuvée par le gouvernement. De fait, certains analystes, dont moi-même, ont suggérés que les lignes de fractures entre les Églises officielle et souterraine se réduiraient, de sorte à ce qu’elles soient moins différenciables…
Mgr. J. - Non, il n’est pas vrai que les fractures entre nous et ceux qui se cachent disparaissent. En fait, c’est de pire en pire, les divisions ne cessent de grandir. Très peu de gens comprennent que l’Église officielle souffre bien plus car nous sommes complètement nus devant la surveillance constante du gouvernement. Laissez-moi vous résumer la situation. Certaines personnes pensent que les communautés souterraines sont la véritable Église Catholique en Chine, et qu’elles sont les seules à être vraiment loyales au Pape. Ils disent aussi qu’elles sont plus obéissantes à Rome que les communautés approuvées par l’État. Cela est très largement faux, car à l’heure où je vous parle le gouvernement sait où je suis ainsi que tout les autres Évêques, et nous vivons sous l’énorme pressions de devoir accepter tout ce que le parti nous demandera. En face, les clandestins sont libres de se déplacer selon leur volonté. Vous savez, selon le droit canon un Prêtre doit rester sous la juridiction de son ordinaire diocésain ; mais le clergé clandestin se déplace partout en Chine avec une grande liberté. Est-ce cela, l’obéissance aux lois de l’Église ? Et quand le Pape a écrit aux chinois, c’est l’Église officielle qui lui a répondu avec respect et obéissance. Les clandestins l’ont au contraire totalement ignoré. Est-ce cela l’obéissance au Pape ? Également, quand le Pape appelle les communautés Catholiques de Chine à surmonter leurs oppositions et être une seule Église, le Cardinal Zen encourage d’Hong-Kong l’Église clandestine à rester inflexible dans son opposition à l’Église officielle. Est-ce cela que le Pape veut ?
A.C. - Vous pensez donc que les divisions vont perdurer, au moins jusqu’à la fin de l’époque marquée par le Cardinal Zen et M. Liu Bainan, le président de l’Association Catholique Patriotique ?
Mgr. J. - Ces deux hommes sont des obstacles pour l’Église qui est en Chine, et nous ne pourrons jamais avant leur disparition réconcilier les communautés officielle et clandestine. Aussi longtemps que Liu voudra que l’Église de Chine soit entièrement indépendante il y aura des Catholiques clandestins, et aussi longtemps que le Cardinal Zen leur dira de rester séparés il n’y aura pas d’unité.
La Messe dominicale, dont l'assemblée compte de nombreux étrangers, en l'église St Pierre de Shanghai
A.C. - Pouvez-vous nous parler de la Révolution Culturelle et des souffrances endurées par vos ouailles ?
Mgr. J. - (prenant une expression solennelle) Durant la Révolution Culturelle beaucoup, beaucoup de Saints hommes et femmes souffrirent et furent tués, mais ce sujet doit être laissé à des temps futurs. Il n’est pas prudent aujourd’hui de parler de cela.
A.C. - Que voudriez-vous vous-même dire au Pape ?
Mgr. J. - Je voudrais lui dire tout d’abord « merci, merci de comprendre les Catholiques de Chine, comme vous l’avez montré dans votre récente lettre ». La lettre du Pape à l’Église en Chine est magnifique. J’aimerais aussi lui dire que nous l’aimons. Nous l’aimons et nous prions pour lui. Nous avons prié pour lui tout particulièrement au cours de ses récentes difficultés, l’Église qui est en Chine est à ses côtés. Elle prie pour lui, et le diocèse de Shanghai prie pour lui. Et j’aimerais enfin lui dire que malgré le peu d’aide que nous avons reçu de Rome, je suis son serviteur. Je suis loyal au Vatican. Je suis heureux que nous ayons ce Pape, car je pense qu’il comprend profondément l’Église en Chine. Il devrait seulement être plus discret lorsqu’il prend conseil de la part de certains Évêques des confins. La situation ici est complexe. »
Mgr Jin mit fin à l’entretien sur quelques réflexions à propos de certaines grandes figures de l’histoire des Catholiques de Shanghai, parlant avec affection du Cardinal Gong, héros de l’Église clandestine. Avant d’être prisonniers, ils étaient amis, et furent assis côte à côte lors de leur procès. Enfin, il me fit remarquer à quel point la situation de l’Église s’était améliorée depuis son avènement épiscopal, et combien était grande la nécessité que l’Église clandestine se soumette à l’Église officielle. Cette position est tout à fait contraire à celle du Cardinal Zen, qui a grandi dans le même diocèse, chose qu’il admet volontiers.
La complexité de la personnalité de Mgr. Jin doit être mise en perspective avec la dureté de sa vie et de son contexte. Tout n’a pas été facile pour lui, comme pour tous ceux qui se sont trouvés persécutés après 1949. Grâce aux efforts de leur Évêque, les Catholiques du diocèse de Shanghai sont une communauté active jouissant d’un séminaire plein et d’un grand nombre d’églises restaurées et dynamiques. Bien que certains disent que tout ceci fut accompli par des compromis, d’autre louent son esprit combatif.
Laissons le mot de la fin à l’Évêque de Shanghai : « Je suis né sous le règne de Benoît XV, et je vais probablement mourir sous celui de Benoît XVI. J’aurais vécu entre deux bons Papes, et j’espère avoir été un bon Évêque ».
La nef et le choeur restaurés du sanctuaire marial de Sheshan