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L'humeur d'un cérémoniaire du dimanche... Sujets de fond et sautes de caractère.

2 Églises en Chine, ou une seule ?

Nous commençons aujourd'hui une suite d'articles rédigés par le Dr. Anthony Clark, Professeur assistant d’histoire de l’Asie à l’Université Whitworth de Spokane (État de Washington, USA) qui est allé en Chine faire des recherches cet été sur l'Église chinoise. En visitant les communautés Chrétiennes de Chine, et en rencontrant des personnages aussi importants que le Cardinal Zen, Mgr Jin l’Évêque de Shanghai, ainsi que ceux qui constituent la base de l’Église qui en en Chine, les Prêtres et les fidèles de base, il nous livre un témoignage de première main sur une situation trop mal connue en Occident. Fides et Ratio est heureux de présenter ces articles inédits en français au public francophone.

 

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2 Églises en Chine, ou une seule ?

Entretien avec l’Abbé Daniel Cerezo, des Missionnaires Comboniens du Sacré-Cœur (2006).

 

Ce fut par une après-midi chaude et humide d’été que je me rendis à travers les rues de Taipeh à une petite chapelle administrée par un ordre peu connu. C’est le chapelain, l’Abbé italien Paolo Consoni qui me fit rencontrer l’Abbé Daniel Cerezo, un espagnol, dans sa cellule. Les 4 Prêtres vivant ici ont été affectés à cette chapelle  du quartier de Jen Aï plusieurs années auparavant par l’Archevêque de Taipeh, et sont des Missionnaires Comboniens du Sacré-Cœur, ordre fondé par St. Daniel Comboni, qui évangélisa en Afrique. L’Asie est un tout autre monde,  mais les héritiers de St. Daniel font désormais partie des rares ordres évangélisant la Chine continentale.

 

L’Abbé Cerezo a de nombreuses relations : il travaille avec et connait de nombreux Évêques, Prêtres et fidèles dans les deux communautés chinoises, officielle et clandestine ; il connaît donc bien la situation qui existe en Chine. Il aime particulièrement faire connaître la dévotion des chinois au Sacré-Cœur, à Notre Dame et à St. Joseph.

 

Anthony Clark : « - Est-il correct d’évoquer deux Églises en Chine, une souterraine, et une autre encadrée par l’État, souvent dénommée « Église officielle » ?

 

- Abbé Daniel Cerezo : - Non, cette distinction est inappropriée. Malgré leurs différences, elles sont toutes deux les parties d’une seule Église chinoise persécutée. Il vaut mieux plutôt les désigner comme des « communautés », une légale aux yeux de l’État, et une qui ne l’est pas. Tout cela semble simple, mais est en réalité beaucoup plus complexe que cela en a  l’air.

En 1949, toute la Chine tomba sous le contrôle des communistes. Entre 1949 et 1977 (fin de la Révolution Culturelle), l’Église eut à souffrir en Chine la pire des persécutions. Dispensaires, écoles, hôpitaux, et orphelinats furent confisqués par l’État, et beaucoup de cathédrales furent entresolées. Dans le but de séparer les Catholiques du Pape, le gouvernement créa l’Église Patriotique en 1957. Depuis lors, tous les canaux d’informations, y compris les chinois, ont parlé de « deux Églises en Chine », l’Église souterraine, ou clandestine, et l’Association Catholique Patriotique Chinoise, ou Église officielle. L’Église officielle est sous la domination du Bureau pour les Affaires Religieuses et est ostensiblement indépendante de toute influence extérieure. La situation se complexifia encore lorsque le Pape Pie XII excommunia tout Évêque s’enregistrant auprès de l’État. La plupart d’entre eux, subséquemment, devinrent « souterrains » de par leur choix de conserver une loyauté explicite à Rome et au Saint-Père. Cependant dans les dernières années, les lignes de fracture entre les deux communautés sont devenues de plus en plus poreuses. De fait, ni Jean-Paul II ni Benoît XVI n’ont jamais évoqués deux Églises en Chine, mais au contraire se sont adressés à l’Église chinoise au singulier.

Il faut donc faire référence à la situation en Chine comme « une Église divisée comprenant deux communautés qui présentent toujours des différences ». Les relations entre elles sont difficiles dans certaines provinces comme le Hebei, le Fujian, le Zhejiang, le Heilongjiang et le Jiangxi. Dans ces régions, les Catholiques « clandestins » se considèrent, et cela est compréhensible, méritoires de refuser toute affiliation à l’État communiste. Mais en Chine, le gouvernement et le parti sont en train de se distinguer de plus en plus, et il faut savoir qu’aucun Évêque, pas même dans la communauté officielle, n’est membre du parti communiste, car aucun croyant ne peut l’être. Mais il en existe malheureusement qui se sont compromis avec le gouvernement. De toute façon, les Évêques et les Prêtres de la nouvelle génération dans les deux communautés sont de moins en moins intéressés par la politique, et bien plus par la transmission de la Foi et l’Évangélisation. Dans de nombreux cas, des Prêtres et des Évêques des deux communautés vivent dans le même bâtiment.

La réaction du gouvernement à l’existence d’églises non-officielles est variable. Dans certaines régions, si une église illégale s’implante, les pouvoirs publics locaux détruisent immédiatement le bâtiment et dispersent la communauté. Cependant, dans d’autres, il existe d’importantes églises non-enregistrées que les édiles provinciaux choisissent d’ignorer et de laisser exister en tant que paroisses sans intervenir. Bien qu’on puisse raisonnablement être optimiste au vu de l’apaisement des tensions entre les communautés, l’Église rencontre encore de nombreuses difficultés. L’Église qui est en Chine demeure persécutée par le gouvernement. Être Catholique en Chine, c’est accepter la persécution ; on peut dire que tous les Catholiques de Chine sont des martyrs à un certain degré. Dans les cas extrêmes, l’emprisonnement pour activités religieuse existe toujours. Malgré le fait que le gouvernement s’ouvre lentement à plus de tolérance, une loyauté ouverte au Pape reste inacceptable car vue comme une menace dirigée contre l’hégémonie politique de la Chine.

 

A.C. - : Comment les Catholiques chinois parviennent-ils à rester fidèles aux enseignements de l’Église en matière morale dans un pays où il est illégal d’avoir plus d’un enfant, et où cette loi est appliquée pointilleusement ?

 

D.C. - : Refuser le contrôle des naissances est en Chine un délit susceptible de répression, et tomber enceinte après avoir déjà eu un enfant peut entrainer diverses sanctions comme se faire couper l’électricité, perdre son travail, être arrêté, ou forcée d’avorter. Enfreindre la loi de l’enfant unique signifie de mettre en danger, soi-même et sa famille. C’est un des aspects les plus douloureux de la vie des Catholiques chinois, de quelque communauté qu’ils soient.

Cependant, dans certaines régions, les pouvoirs locaux autorisent les Catholiques à avoir plusieurs enfants. Il existe des villages entièrement Catholiques où toute la vie des habitants est centrée sur la Foi, et dans ces endroits existent des familles de parfois jusqu’à six enfants que les pouvoirs publics choisissent d’ignorer. Ces situations sont rares, mais elles existent. Dans un cadre urbain, au contraire, le gouvernement ne tolère pas d’activité religieuse en contradiction avec sa politique, et les croyants des villes ne peuvent tout simplement pas suivre l’enseignement moral de l’Église sous peine de sanctions.

Mais il est tout à fait faux que les fidèles fréquentant des églises officielles ignorent ou refusent le magistère moral. Leurs Prêtres dans leurs homélies dansent sur une corde raide, afin de propager la doctrine de l’Église en matière morale sans contredire ouvertement l’État.

Ce qui est préoccupant aujourd’hui, c’est que ceux qui quittent leur petit village Catholique pour se rendre en ville sont incités à rejoindre le parti, à se trouver un métier lucratif, et un ou une fiancé(e). Il est compliqué pour ces croyants de continuer à pratiquer une religion qui entre en conflit et crée des tensions avec les attentes sociales de leurs compatriotes. De plus, quitter la routine confortable d’un petit village Catholique pour la frénésie matérialiste de la Chine urbaine est une épreuve qui peut déboucher sur la perte de la Foi. Lorsque j’étais à Pékin, j’interrogeais souvent les gens sur ce en quoi ils croyaient, et la réponse la plus courante étais : « Wo xin wo, wo xin qian », c'est-à-dire « je crois en moi, je crois en l’argent ». Pourtant, même dans ces villes consuméristes comme Pékin et Shanghai, de pieux fidèles remplissent complètement les églises et les cathédrales tous les Dimanches.

Les Catholiques chinois mènent une vie remplie de dévotions populaires. Les principales sont celles au Sacré-Cœur de Jésus, à Notre-Dame et à St. Joseph. Cela fait partie de leur identité ; de plus, la plupart d’entre eux prie le chapelet tous les jours. Alors qu’en Occidents les fidèles sont nombreux à ne plus croire en la Présence Réelle du Christ dans l’Eucharistie, cela est inimaginable ici. L’adoration du St. Sacrement est particulièrement importante en Chine.

Cela est dû à ce que, au début des missions en Asie la méthode d’évangélisation constituait en une catéchèse similaire à celle des pays occidentaux, c'est-à-dire un sermon sur la Trinité. Mais cette approche abstraite ne fonctionnait pas particulièrement bien. Les Missionnaires Comboniens  ont eux commencé par les Évangiles, en se concentrant sur la personne de Jésus et Ses paraboles. Par exemple, il est arrivé une fois qu’une dame pleure en écoutant l’Évangile, et lorsqu’on lui demanda pourquoi elle pleurait,  elle répondit qu’elle n’avait jamais vu ou entendu parler d’une telle charité et d’une telle compassion. C’est ce genre de méthodes catéchétiques qui ont répandu la Bonne Nouvelle de Jésus à de nouveaux croyants en Chine.

 

A.C. - : Où se trouve la tête de l’Église chinoise ?

 

D.C - : Tout d’abord il faut insister sur ce que l’Église chinoise est de moins en moins divisée, et que l’utilisation de thermes impliquant la division comme « souterrain » et « officiel » n’améliore pas la situation en suggérant des prises de positions des Chrétiens étrangers. Les deux communautés prient pour le Pape et sont chères à son cœur.

Cela ne veut pourtant pas dire qu’il n’y a pas de conflit entre l’Association Catholique Patriotique et Rome, au contraire, les tensions sont souvent sérieuses. Cependant la majorité des Évêques chinois sont maintenant reconnus explicitement ou parfois implicitement par le Vatican. Cela n’était pas le cas il y a moins d’une décennie. La reconnaissance par le Vatican d’Évêques officiels n’est pas une trahison des Évêques clandestins qui ont souffert et souffrent encore de terrible persécutions. En effet, les deux communautés cherchent à vivre en le Seigneur dans un cadre difficile, et toutes deux cherchent (avec cependant quelques rares exceptions dans l’Église officielle) à avoir des liens explicites avec Siège de St. Pierre.

La mission de l’Église en Chine, au-delà des divisions est de faire connaître Jésus, d’aimer les pauvres et de porter Son message dans un pays qui a désespérément besoin de l’Évangile. Il est temps de cesser de parler de deux Églises en Chine et re reconnaître qu’il n’y a qu’une Église souffrante, aimant le Seigneur et  apportant Son amour dans une nation rongé par la poursuite du succès matériel.
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