Là où Dieu pleure, du P. Werenfried Van Straaten est une très bonne lecture de Carême : en effet, c’est un livre difficile à lire. Difficile à lire, non pas parce que compliqué, ou employant un vocabulaire abscons, mais parce qu’il est un condensé de toute la misère du monde, ou tout au moins telle qu’elle était dans les années 60. Le P. Werenfried, qui est bien connu, est le fondateur de l’Aide à l’Église en Détresse (AED), et au cours de ses nombreux voyages sur les cinq continents, il a vu de ses yeux la misère du monde, misère qu’il rapporte fidèlement dans son ouvrage. Par rapport à son premier livre, On m’appelle le père au lard, qui narre la création de l’AED et son activité dans les ruines de l’Europe ravagée par la seconde guerre mondiale, Là où Dieu pleure est plus violemment percutant, sans doute parce qu’il est écrit 20 ans plus tard, et que l’auteur, même s’il cultive au plus haut point la vertu d’espérance, a sans doute été profondément touché par les souffrances des hommes.
De ce livre, daté historiquement, et à bien des égards a en partie perdu sa pertinence en ce qui concerne la situation actuelle, on peut tirer plusieurs enseignements :
En premier lieu, la pauvreté a reculé depuis les années 60, et ce indéniablement. Le Brésil s’est sorti de la famine endémique, les pays d’Asie ont pris leur essor grâce aux révolutions vertes et à l’industrialisation, les conflits en Afrique sont moins fréquents qu’auparavant. De fait, on ne meurt plus de faim à Sao Paulo, il n’y a plus de bidonvilles à Séoul, les camps de rééducation par le travail de l’Europe socialiste ont disparus avec elle.
De cette première constatation on peut en tirer une seconde : le communisme a été la principale incarnation que le Mal a choisit de prendre pendant cette
seconde moitié du XXe siècle. Lorsque le P. Werenfried nous guide à travers la détresse humaine sur les cinq continents, on retrouve toujours à un point de l’échelle de causalité de la misère, de
la guerre et de la mort le communisme, qui oppresse directement les citoyens des États socialistes d’Europe en les condamnant à une misère physique et spirituelle s’ils n’intériorisent pas les
fondamentaux du marxisme, qui attise les conflits ethniques africains en fournissant des armes aux chefs de guerre, qui lutte de toutes ses forces contre l’action éducative et de réhabilitation
sociale de l’Église et des partis Chrétiens démocrates en Amérique Latine afin de confiner les pauvres dans leur pauvreté (s’ils ne sont plus pauvres, ils ne seront plus révolutionnaires), qui
pousse par ses rêves économiques fous et son principe de terreur au cannibalisme dans la Chine populaire lors du grand bond en avant…Et hélas, on voit aussi, clairement dénoncée par le P. Van
Straaten, la pusillanimité de l'Eglise d'Europe Occidentale, son manque de confiance en elle, son indulgence pour un communisme qui la broie (puisque c'est un même organisme) en Europe centrale
et orientale. Ainsi, il rapporte cette parole d'un Prêtre tchèque: "J'ai fait douze ans de prison parce que je voulais rester fidèles à Rome. On m'a torturé parce que je ne voulais pas renier le
Pape. J'ai perdu tout pour la foi. Mais cette m'a donné une quiétude et une assurance qui ont fait de ces années de bagne les plus enrichissantes de ma vie. Vous, en occident, vous avez perdu la
quiétude de Dieu. Vous avez sapé la foi au point qu'elle n'est plus rassurante. Dans votre liberté, vous avez renié ce pour qui nous souffrons. L'occident m'a déçu. Plutôt que de rester encore
plus longtemps chez vous, je préfère douze nouvelles années dans une prison communiste".
Cependant, le P. Werenfried ne combat pas directement le communisme par les armes biens dérisoires des hommes politiques, mais par le moyen détourné, et sûrement plus efficient, de la charité, de l’éducation, du développement, afin de rendre les pauvres gens maitres de leur destin, leur évitant de le confier par désespoir et aveuglement aux révolutionnaires communistes.
Au-delà de ces considérations historiques, Là où Dieu pleure touche du doigt une réalité que l’Église doit vivre : celle de l’option préférentielle envers les pauvres. Oh, je le sais, il ne vaut mieux pas employer cette expression indissolublement rattachée à la néfaste théologie de la libération, mais c’est la plus appropriée. Et d’ailleurs elle ne date pas d’aujourd’hui : sans en employer le terme, c’est bien l’orientation que le Christ lui-même nous a indiqué, et à sa suite un innombrable cortège de saints (Martin, Vincent de Paul, Jean Bosco) et d’hommes de bonne volonté.